C-type photographie, texte.
Production Galerie du Dourven.
Réactivation d’une action artistique d’Alastair MacLennan, 1977.
Les quatre chemins, Plestin-les-Grèves.
Samedi 29 mars 2014
J’ai commencé l’action à 09H00. Avec mes assistants, Elina et Tristan, nous avons choisi le meilleur endroit pour faire la « photographie témoignage ». Ceci peut sembler anodin mais c’est ma position dans cette image qui a déterminé le sens de la marche, inverse à celui des aiguilles d’une montre. Ensuite, Elina et Tristan sont discrètement partis.
Au début, j’ai été hyper-conscient de ma propre « étrangeté » et de la manière dont j’aurais pu être perçu par les riverains. J’étais sûr que tôt ou tard, quelqu’un m’interpellerait sur la question de ma présence et de mon activité.
C’est une heure et demie plus tard que le premier riverain s’est présenté. Le propriétaire du bar-tabac est venu me voir et m’a demandé si j’avais perdu quelque chose. Il a précisé m’avoir vu tourner en rond depuis une éternité. Je lui ai répondu que je n’avais rien perdu et lui ai fait part de mon intérêt pour une oeuvre d’art performative réalisée originellement dans les années soixante-dix et que j’étais en train de réactiver. Je lui ai raconté les modalités de l’oeuvre qui consistait à marcher d’un feu à l’autre pendant toute une journée. Il m’a souhaité « bon courage ».
Le reste de la matinée s’est déroulé plus ou moins sans incident. J’ai marché. Je me suis arrêté. J’ai repris la marche. Impossible de trouver un rythme car les feux étaient réglés en fonction du flux du trafic. Impossible d’élaborer une pensée car chaque fois qu’une idée commençait à prendre forme, j’étais interrompu dans mes réflexions par l’homme vert qui me rappelait que c’était le moment de reprendre mes pas.
A midi pile, je me suis arrêté et je suis allé en ville à la recherche d’un restaurant.
J’ai recommencé l’action à 14H00. J’étais plus calme que le matin, plus relax. Je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que je m’inquiétais moins de la possibilité de la rencontre avec le public. Peut-être parce que le soleil perçait un peu plus. Peut-être parce que j’étais plus près de la fin de mon action. J’observais donc un peu plus la vie autour de moi.
En face du bar-tabac il n’y a pas de commerce. L’architecture a gardé les traces d’une vie commerciale d’une autre époque mais celle-ci a disparu depuis longtemps. De l’autre côté du passage clouté se trouve la seule maison individuelle du carrefour. Une vieille dame est sortie de cette maison à deux occasions, sans doute pour faire de petits achats. Nos regards se sont croisés, mais nous n’avons pas engagé de conversation. La vingtaine de mètres de marche pour accéder au prochain passage clouté me conduit devant un institut de beauté spécialiste dans le vernis à ongles et le parfum, mitoyen d’un salon de coiffure ouvert sans interruption le samedi. En revanche, je n’ai jamais eu l’occasion de parler avec les clients et les responsables de ces deux commerces. En face se trouve un magasin spécialiste dans les grands tirages numériques, le découpage de vinyles adhésifs et la fabrication d’enseignes. Pendant la matinée, ce magasin était fermé mais l’après-midi un homme est venu travailler. Le dernier passage clouté me ramène au bar-tabac que je dois longer avant de me retrouver au point de départ.
En tout cas, j’avançais pas à pas. Comme le matin, mes pensées étaient toujours entrecoupées par l’arrivée de l’homme vert. Vers 15H00, deux hommes sont sortis d’un petit chemin à côté du bar-tabac. J’avais déjà remarqué un de ces messieurs plus tôt dans l’après-midi lorsqu’il était en train d’arracher les mauvaises herbes qui poussaient dans ses gouttières. Ils avaient l’air très sympathiques et ils étaient clairement très inquiets par mon manque apparent d’orientation.
– Vous êtes perdu ? Vous n’allez pas continuer de tourner en rond toute la journée?
– Non et oui, j’ai répondu.
Pour la deuxième fois, j’ai raconté l’histoire de cette action artistique et la manière dont j’ai pu prendre contact avec l’auteur, Alastair MacLennan. Ils m’ont jeté un regard curieux mais pas tout à fait satisfait. Puis je leur ai fait part d’une de mes petites pensées du jour :
– Traverser la route n’est pas plus absurde que fumer une cigarette et il y a des gens qui fument des cigarettes toute la journée.
– Alors là, je suis d’accord ! a répondu le plus ancien des deux.
Il était visiblement rassuré que je sois capable d’évoquer une réflexion qui lui semblait être rationnelle. Ainsi ils m’ont souhaité bonne continuation et j’ai repris la marche. Au prochain tour, le vieux monsieur se trouvait à sa fenêtre et m’a salué.
J’ai continué l’action tout le reste de l’après-midi sans aucun autre incident jusqu’à 16h30. A ce moment, un homme est sorti du bar-tabac en m’adressant la parole comme si on était de vieux copains.
– C’est comment le nom de l’artiste à l’origine de ton projet, au fait ?
Jusque là, à ma connaissance, je n’avais jamais vu ce monsieur de ma vie. Ma présence a clairement été le sujet du jour au comptoir du bar-tabac. Ainsi j’ai repris ma petite histoire pour la troisième fois. Il a bien rigolé avant de disparaître dans une porte en face. Quelques tours plus tard il est revenu avec son iPhone. Il voulait une photo. Je me suis tenu debout comme la Tour Eiffel.
Juste avant 17H00, Elina est revenue pour me chercher. J’étais très content d’avoir réactivé cette oeuvre, mais j’étais aussi vraiment content de la voir.