Musée d’Art et d’Histoire, Château-Gontier.
30 mai au 30 août, 2015.
Plusieurs artistes, qui sont pour Hulaut & Clarke des références, dialoguent et tissent des liens avec les oeuvres de la collection permanente du musée, véritable cabinet de curiosités.
Richard Baquié, Jean-Yves Brélivet, Sophie Calle, Patrice Carré, François Courbe, François Curlet, Jason Dodge, EDS Collectif, Christelle Familiari, Hans Peter Feldmann, Robert Filliou, Bernadette Genée et Alain Le Borgne, Jacques Halbert, Ron Haselden, Sharon Kivland, Lucas L’Hermitte, Georgia Nelson, Karen Knorr, Cindy Sherman, David Shrigley, Ernest T, Laurent Tixador.
Dans le cadre du festival ART EST LA CHOSE. Commissariat: Anabelle Hulaut et David Michael Clarke. Remerciements au FRAC Bretagne, FRAC Pays de la Loire, FRAC Basse-Normandie, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Nantes, Musée Municipal de la Roche-sur-Yon.
AH : L’exposition « Hôtel Particulier » est amorcée par une oeuvre de Robert Filliou. Il a été associé au groupe Fluxus dans les années 60. Il se distingue du reste du groupe, comme Beuys. Ils ont posé d’une manière très claire, certaines questions philosophiques sur la nature de l’art. «L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art» de Filliou est sans doute une des phrases les plus citées dans l’art contemporain.
DMC : C’est son principe de la « création permanente ». L’art n’est pas seulement quelque chose que l’on fait dans l’atelier avant de rentrer chez soi. Tout comme Beuys lorsqu’il dit que «chacun est un artiste». Ce qu’ils ont tenté de dire c’est que la création existe en chacun de nous, tout le temps et c’est à chacun de décider si on l’active ou pas.
AH : Cela a aussi été une philosophie de vie. Ils ne faisaient pas une séparation entre l’art et la vie. Filliou et Beuys n’ont pas simplement été de grands artistes, mais ils avaient aussi des grandes idées sur l’enseignement. La question n’a pas été «comment enseigner l’art», mais plutôt «l’enseignement en tant qu’art». Ces questions sont essentielles, mais Filliou en particulier a toujours traité de ces sujets avec humour et légèreté poétique. Filliou a aussi établi un protocole de travail «Principe d’équivalence» en précisant qu’une oeuvre d’art peut exister dans plusieurs états, notamment, «Bien fait, Mal fait ou Pas fait».
DMC : Filliou a sans doute crée ce protocole pour ouvrir les possibilités pour l’art. C’est juste aujourd’hui de l’évoquer, car cela rappelle l’écart énorme qui existe depuis longtemps entre l’art et le grand public.
DMC : Et David Shrigley a toujours refusé la technicité comme élément fondamental à l’art, et il fait tout ce qu’il peut pour empêcher son évolution sur cet axe. D’ailleurs au niveau du contenu, il n’est pas mal non plus, représentant notre monde dégagé de toute logique sauf la sienne. L’ensemble est bien évidemment une manière de relever la question de la position de l’artiste avec plus qu’un léger sens de dérision.
AH : Cet été, toutes les sculptures greco-romaines normalement exposées dans la salle d’antiquités sont prêtées au Musée de Jublains. Il y a un an, quand on a commencé à réfléchir sur ce projet, nous avons dû imaginer la salle totalement vide.
DMC : Ceci nous a donné l’occasion d’aborder un sujet sans faire un lien direct à la collection permanente du musée, même si au bout du compte, ces liens sont toujours là. En tout cas, nous avons pensé aussitôt à Laurent Tixador. Le travail de Laurent s’appuie autant sur « Pif Gadget » que sur l’histoire de l’art. Il s’aventure et se met à l’épreuve avec une logique absurde et un engagement poussé à l’extrême. Par la suite, pour restituer ces voyages, il crée des objets insolites, totalement inouïs.
AH : Laurent a toujours été fasciné par les gens qui se trouvent hors de leurs vies habituelles. D’ailleurs c’est une des raisons pour laquelle il s’intéresse aux poilus et à leurs productions artistiques, cette question d’art déraciné. Depuis plusieurs années, Laurent a collectionné des douilles d’obus gravées dans les tranchées de la grande guerre. Récemment, Laurent a fait une résidence dans un lycée et il a pu récupérer quelques anciens lits de pensionnat de la même manière que les poilus ont récupéré les obus. Avec cette matière, il a fabriqué un nouveau mobilier pour présenter une sélection de douilles venant de sa collection personnelle.
DMC : Pour la même salle, nous avons pensé à Bernadette Genée & Alain Le Borgne. J’ai découvert leur travail lors de l’implantation du FRAC à Carquefou où ils organisaient un «échange de compétences» entre l’équipe administrative du FRAC et un bureau d’information et de recrutement de l’Armée. Le projet m’a marqué, tant par son immatérialité que par la manière dont ils posaient des questions sur nos «réseaux sociaux» des années avant que Facebook et Twitter soient inventés. La plupart de nos amis faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour éviter une rencontre avec les militaires. Bernadette et Alain cherchaient à briser et à franchir cette barrière fictive, simplement motivés par une curiosité envers l’autre, humaine et honnête.
AH : Par la suite ils ont pu montré des expériences tout à fait surprenantes, qui explorent les relations entre ces gens de pouvoir et l’art. Ici, ils nous proposent une installation comprenant des objets militaires qui se trouvent dans la collection permanente, à côté d’objets et d’images issus de leur propre pratique artistique. Notamment une vidéo, extraite du projet « Speechmusic », qui présente l’orchestre de la Légion Etrangère en concert, avec tous les musiciens habillés en treillis militaire. Le soliste violoniste est lui-même visuellement remarquable autant par la qualité de sa virtuosité que par la présence de son corps dans l’image.
AH : Par la suite ils ont pu montré des expériences tout à fait surprenantes, qui explorent les relations entre ces gens de pouvoir et l’art. Ici, ils nous proposent une installation comprenant des objets militaires qui se trouvent dans la collection permanente, à côté d’objets et d’images issus de leur propre pratique artistique. Notamment une vidéo, extraite du projet «Speechmusic», qui présente l’orchestre de la Légion Etrangère en concert, avec tous les musiciens habillés en treillis militaire. Le soliste violoniste est lui-même visuellement remarquable autant par la qualité de sa virtuosité que par la présence de son corps dans l’image.
DMC : La salle de femmes, aussi belle qu’elle soit, nous a semblé presque condamnable à notre époque. A l’exception d’un très beau dessin de Camille Claudel, la salle mettait davantage en valeur le regard masculin visant l’autre genre. Plusieurs artistes femmes contemporaines sont venues aussitôt à notre esprit. Sharon Kivland explore notre univers sexuel, réel et fantasmé, particulièrement riche en images et signes. Elle utilise souvent des objets trouvés, comme des animaux empaillés ou des vêtements intimes issus d’une autre époque, qu’elle transforme manuellement par le biais de textes brodés. Nos espoirs, nos désirs, nos angoisses et notre culpabilité n’échappent pas à son attention.
AH : Sophie Calle est surtout connue pour ses auto-fictions mais son intérêt dans les histoires ne s’arrête pas là. La pièce «Le Major Davel», a ses origines dans une oeuvre qui a été victime d’un incendie au Musée des Beaux-Arts de Lausanne. Sophie Calle a enquêté auprès de plusieurs gardiens du musée pour des renseignements sur la partie manquante de l’oeuvre. La sérigraphie ici présente est la restitution de ce processus.
DMC : Christelle Familiari a commencé son oeuvre en produisant des objets tricotés, suggérant la possibilité d’une utilité sexuelle. Les formes qu’elle réalise actuellement sont davantage plus mystérieuses, tant dans leur matérialité que dans leur signification. Georgia Nelson aussi détourne intuitivement ces travaux manuels, trop souvent réservés aux femmes, pour évoquer un monde poétique et rêveur.
AH : Cindy Sherman a été une inspiration pour moi, surtout au début de mon travail sur les personnages. J’ai été captivée par la manière dont elle se masque progressivement. Au début, dans les années 80, elle produisait de beaux autoportraits en tant que star des films de série B, mais aujourd’hui elle a poussé son propos jusqu’à la figure du clown et la production d’images grotesques. La photographie que nous avons pu emprunté vient de son premier corpus des «Untitled film stills».
DMC : Et puis, il y a l’homme perturbateur. En visitant le musée, Patrice Carré nous a annoncé que lui-même voulait faire quelque chose dans la salle des femmes. Ainsi, il a réalisé une paire d’enceintes en écho à une très belle petite figurine de la collection permanente. Patrice Carré nous propose une bande-originale pour un film manquant, diffusée à travers cette paire d’enceintes aux allures presque cubistes, évoquant «Les demoiselles d’Avignon» de Picasso.
AH : Nous avons pu emprunté une photographie de Karen Knorr, de la série «Connoisseurs». Cette photographie intitulée «L’analyse de la beauté» montre deux messieurs regardant les tableaux d’un musée à l’aide de longues vues. Avec leurs télescopes inclinés vers le haut, évoquant l’excitation masculine, cette image démontre l’absurde manière dont l’esthétique a été scruté depuis des siècles.
DMC : Finalement, Patrice Carré n’est pas le seul artiste homme que nous avons décide de présenter dans la salle des femmes. Il y a aussi des pièces de David Shrigley et Jason Dodge. Autrement, j’aimerai souligner que notre approche en tant que commissaires n’était pas seulement de choisir quels artistes contemporains exposer. Nous avons aussi pris la décision de déplacer plusieurs oeuvres au sein de la collection du musée. La mère de Moïse a descendu les escaliers et l’écrivaine, Lucie Delarue-Mardrus a pris place dans la salle d’histoire locale, parmi ses confrères et consoeurs de la plume.
AH : La salle d’histoire locale est dominé par un accrochage de grands tableaux de paysages réalisés par l’artiste et premier conservateur du musée, Trancrède Abraham au 19ème siècle. Autour de ses oeuvres et au fil des années, d’autres tableaux ont été accrochés sans une réelle réflexion sur l’ensemble. Nous avons eu très envie de réorganiser cette salle afin de faire sortir plusieurs axes de recherche.
DMC : Il y a de nombreuses représentations de la ville de Château Gontier et son patrimoine architectural, notamment des tableaux de Gustave Dennery et d’Alfred Bourel-Latouche. Dans la réserve nous avons découvert une « peinture sur store » de François Héron, artiste de Château-Gontier qui a enseigné le design au Lycée des Métiers de la Mode à Cholet. François est décédé il y a deux ans, et il nous semblait important de lui rendre hommage en montrant cette oeuvre.
AH : Dans cette salle se trouvent plusieurs vitrines protégeant les objets militaires, collectionnés par le Général Gérard qui a été actif dans la guerre d’Indochine. Bernadette Genée et Alain Le Borgne parlent très aisément de la relation entre les militaires et les objets d’art, et de la guerre comme vecteur dans le déplacement des oeuvres. Lors d’une visite au musée Alain nous a parlé de l’histoire du « paysage » dans la peinture, et comment les racines de ce genre se trouvent dans les actions militaires.
DMC : Au FRAC Bretagne, nous avons trouvé une oeuvre de Richard Baquié intitulée, «Batailles, 1989». C’est une série de douze aquarelles. Sur chaque feuille de papier, deux zones de couleur se battent pour dominer le terrain vague qui les sépare. Ce n’est pas commun de trouver une peinture abstraite articulée par un vocabulaire militaire, et cela nous semblait pertinent de la présenter. Dans la même collection, nous avons aussi trouvé quelque chose de comparable dans le travail de Jean-Yves Brélivet. Est-ce une sculpture ou un leurre ? Est-ce qu’il s’agit de la peinture ou du camouflage ?
AH : Le musée est un véritable cabinet de curiosités. Les grandes oeuvres sont exposées en face du travail des artistes locaux. Les objets d’art et d’artisanat se mêlent avec les armes. Les marbres de la Grèce ancienne se trouvent tout près des objets issus de la vie populaire. Ce type de «melting pot» est une inspiration pour notre génération. A la fin de son séjour à Château-Gontier, François Curlet a imaginé une paire de sabots surréaliste, avec le logo de «Nike» réalisé par pyrogravure … un mélange de la culture pop, de sport et d’art.
DMC : Dans les combles du musée se trouve la salle Pierre Logé. De son vivant, Pierre Logé a été vétérinaire par métier et collectionneur d’art par passion. Sa collection comprenant plus de deux cent oeuvres a été léguée à la Ville de Château-Gontier en 1998. Il y a des oeuvres de Philippe Cognée, David Ryan, Carmelo Arden Quin, Eric Fonteneau … mais la salle étant petite, nous avons décidé de faire le point sur un aspect spécifique de sa collection : les oeuvres minimalistes et néo-géométriques.
AH : Nous avons choisi d’investir plusieurs vitrines verticales libérées par l’exodus des oeuvres de la Grèce ancienne, avec des oeuvres contemporaines qui développent ou détournent la simplicité et la pureté du modernisme. Ron Haselden est surtout connu pour ses grandes installations lumineuses. On peut dire que ce sont des dessins qui se déploient dans l’espace. Récemment, il a développé une série de pièces en LED pour ce type de vitrines. Lucas l’Hermitte est un artiste conceptuel. Chaque matin il dessine un carré en acétylène sur calque. Le lendemain il cherche a nouveau le même gris et par la suite il ajoute un deuxième carré accolé au premier.
DMC : Toujours dans la même salle et sur la question de détournement, Patrice Carré a été pour nous une évidence car il joue souvent avec son nom de famille. Quant à Ernest T, il s’amuse sans cesse avec le motif et l’absurdité au coeur de l’art moderne. Le travail du collectif EDS mélange le réel et le fictif, dans des actions performatives.
AH : Et sur un autre registre, nous avons pu emprunté deux sculptures récentes de Christelle Familiari. Ce sont des objets crées par la compression de ses anciennes sculptures comme « l’étendue » réalisée à la Chapelle du Genêteil en 2003. Version brutale.
Exhibition views : Marc Domage
Liens:
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